LA BLESSURE ET LA GRÂCE. Le nouveau livre de Gabriel Ringlet
Il arrive qu'une blessure nous habite, parfois profonde, peut-être secrète, et qui ne nous quitte pas. Peut-on quand même, sans forcer, faire de cette blessure une grâce ? L'auteur pense que oui. Comme le romancier Jean Sulivan, il encourage à laisser sa blessure ouverte car du fond de la nuit, dit-il, peut naître l'humble joie. Ou l'humble grâce.
L'Évangile, parce qu'il est d'abord un poème, ne se laisse jamais enfermer.
Pour rapprocher les deux mots qui lui ont offert le titre de son livre, Gabriel Ringlet renoue avec une démarche qui a passionné tant de ses lecteurs : rejoindre l'Évangile par un autre chemin. À travers soixante textes très courts, et au départ d'un film, d'une chanson, d'un fait divers..., il pratique ce qu'il appelle le journalisme de la parabole. Un journalisme poétique qui veut rendre vivantes les couleurs du texte qu'il revisite et qui dessine, de récit en récit, le portrait très personnel d'un Jésus parfois inattendu.
Une relecture originale du livre biblique des Lamentations.
En ouverture de l'ouvrage et pour introduire à celui qu'il regarde comme le poète de l'Évangile, l'auteur raconte la fabuleuse aventure d'un autre poète biblique qui a écrit le livre des Lamentations. Un auteur anonyme qu'on devine proche de Jérémie et qui a rédigé, avec passion, un texte viscéral considéré comme un des plus beaux chants de la littérature mondiale.
S'appuyer sur la fiction pour montrer toute la vivacité du texte des Béatitudes.
En finale, et comme pour prolonger son livre sur la pointe des pieds, Gabriel Ringlet propose une réécriture du célèbre texte des Béatitudes. Ce n'est pas la première fois qu'il jette une lumière d'aujourd'hui sur ces versets qui ont marqué l'histoire spirituelle de l'humanité, mais ici, il réimagine les Béatitudes en prêtant à Jésus, par le chemin de la fiction, des propos qui ne manqueront pas de surprendre.
À travers un parcours souriant et mouvementé, La blessure et la grâce témoigne d'une conviction forte : l'Évangile n'est pas achevé. Comme il n'appartient à personne, chacune, chacun, croyant ou non, peut s'en emparer. Et tant mieux si les poètes et les romanciers aident à le revisiter.
La photo de couverture
Sur la couverture, le visage vient d'un tableau qui représente Sainte Catherine de Sienne.
Cette peinture est due à Carlo Dolci.
Ce peintre florentin du XVIIe siècle a réalisé une huile sur bois qui se trouve actuellement à Londres, à la Duldwich College Picture Gallery.
Le tableau a été peint vers 1665-1670.
Nous avons tenté d'avoir, dès la couverture, au premier regard, un visage qui dise à la fois la blessure et la grâce. Que les deux mots dialoguent en un coup d'oeil.
Tout se donne dans la sobriété d'une larme qui glisse sur la douceur d'une peau.
Catherine de Sienne
Mystique du XIVe siècle (1347-1380) morte à l'âge de 33 ans.
Née à Sienne dans une famille d'artisans.
Proclamée Docteure de l'Église par Paul VI en 1970, juste après Thérèse d'Avila.
Elle est la seule laïque docteure de l'Église.
Elle est patronne de l'Europe.
En 1376, elle vient trouver le pape Grégoire XI à Avignon pour évoquer avec lui la situation très dégradée de l'Église. Elle le presse de revenir à Rome et de réformer fondamentalement son Église.
Elle a 29 ans ! Et le pape va l'écouter et la suivre...
Quelques extraits
Serait-ce donc cela, une vocation ? Un regard et une ouïe ? Comment évoquer l'ombre d'une voix ? Dire le cil d'une invitation ? Raconter le cheveu d'un appel ? Ça commence parfois par de toutes petites craquelures. Au début, on n'y accorde peut-être qu'une oreille distraite. On entend bien, pourtant, que le sol chucote. À quel moment la faille se met-elle à s'élargir ? Un appel n'est jamais que l'appel d'un appel. On rejoint une cascade de voix. C'est une affaire de son et une affaire de ton. Mais comment sait-on que le ton est le bon ?
Venez et vous verrez. (p.54-55)
*
Au sens premier du terme, l'autorité vise la fonction d'auteur (auctor). Faire autorité, c'est d'abord signer personnellement une oeuvre. L'auteur augmente ce qui est à écrire, il élargit la vision, offre de nouvelles significations. Et si son oeuvre est vraiment une oeuvre, elle élève et fait grandir celle ou celui qui la reçoit. Faire autorité, c'est donc faire exister davantage, appeler à être plus et encourager à devenir auteur à son tour. Et pas question d'imposer une autorité, ce serait une contradiction dans les termes. (p.74)
*
Si Jésus avait été journaliste, comme il aurait renouvelé le traitement des faits divers ! (p.107)
*
« Ému jusqu'aux entrailles », Jésus touche le lépreux. Pas besoin d'aller plus loin. Inutile d'entendre les mots qui suivent : « Je le veux, sois purifié. » Il le touche, et cela suffit. Il le touche et déclenche un séisme. Il le touche et ce toucher-là le réintègre dans l'humanité. Mais, en le touchant, Jésus provoque un second tremblement, il déplace une frontière, il renverse un système : Où est le pur ? Où est l'impur ? Il le touche et c'est le pouvoir religieux lui-même qui est touché, en plein coeur. (p.130)
*
Une force le traverse.
Il rayonne.
Il dit :
Joie !
C'est son premier mot.
Il les surprend dès le premier mot : joie !
Il aurait pu dire : « Bonjour » ou « Bienvenue. Je suis heureux d'être avec vous. » Non ! Il dit : Joie ! Et que la joie est là, et que la joie est simple, un soleil sur le mur, un moineau sur le sol, et qu'elle les attend.
Il dit aussi
Que la joie est pauvre.
Que la joie est douce.
Que la joie est juste.
Et qu'elle pleure quelquefois.
Ils comprennent que la joie est grave. D'ailleurs il ajoute
Qu'elle a faim et qu'elle a soif.
Qu'elle accueille la bonté.
Qu'elle appelle la miséricorde.
Et qu'elle construit la paix.
Comme elle peut.
Car la joie est artisanale. Elle n'est chaque fois qu'une seule fois.
Mais il veut aussi leur faire sentir la légèreté du poème, alors il dit :
Joie, les souffleurs de verre,
Ils font chanter la lumière.
Joie, les jongleurs de feu,
Ils font brûler le rire.
Joie, les ramasseurs d'écume,
Ils gardent la mer entre leurs doigts. (p.252)
Regards
« Doux comme l'Évangile » et avec « Une plume virevoltante. » E. M., Panorama.
« Un livre qui sait cueillir la beauté de l'Évangile sans rien perdre de son parfum. » Dominique Greiner, La Croix.
« Gabriel Ringlet s'est attelé à rendre le texte de l'Évangile vivant et actuel à travers soixante billets très courts et au départ d'un film, d'une chanson, d'un fait divers. » William Bourton, Le Soir.
« Parce que l'Évangile est inachevé, l'auteur s'attache à le raconter avec beaucoup de délicatesse et de modernité. » Bosco d'Otreppe, La Libre Belgique.
« Hymne à la joie. » Jean Bauwin, L'Appel.
MÉDITATION DE CAREME : SOIF D’AVOIR SOIF…
Le récit mettant en scène la rencontre de Jésus avec la Samaritaine que nous donne à entendre ce 3ème dimanche de Carême compte sans doute parmi les plus belles pages de l’Évangile !
Après le désert et l’épreuve des tentations évoqués lors de notre premier dimanche de Carême.
Après la montagne et l’expérience inouïe de la Transfiguration dont nous a été donné le récit lors de notre second dimanche de Carême, nous voici aujourd’hui, pour cette troisième étape de notre marche vers Pâques, assis avec Jésus au bord de l’ancestral puits de Jacob.
Contemplons la scène : après un long voyage à pieds en provenance de Judée, alors qu’il fait route vers la Galilée, Jésus est fatigué, il a faim et soif comme n’importe quel voyageur.
Il est midi, l’heure la plus chaude de la journée.
L’ombre se fait rare.
Il vient d’envoyer ses disciples chercher de la nourriture au village voisin et attend que quelqu’un vienne puiser de l’eau et lui donner à boire.
La scène ne se déroule pas n’importe où : nous sommes en Samarie, une terre et un peuple qu’un juif pieux tente en principe d’éviter.
Les Judéens et les Samaritains ne s’aiment pas. Leur brouille remonte aux environs du 8ème siècle lors de la conquête de la Samarie par les Assyriens.
Selon l’habitude des guerriers de Ninive, les habitants de la Samarie ont été déportés et remplacés par des populations vaincues venues d’ailleurs avec leurs croyances polythéistes. Et leurs divinités de pacotille.
La foi au Dieu unique est mise à mal par le syncrétisme…
Et la méfiance des juifs est grande vis à vis de ce peuple considéré comme hérétique. Une méfiance encore vive au temps de Jésus…
Continuons de contempler notre scène : il est midi, le soleil brûle. Ce n’est absolument pas l’heure de venir puiser de l’eau.
On vient au puits le matin très tôt ou le soir, « à la fraîche », mais pas en plein « cagnard » !
Étrange horaire qui sans doute, par son symbolisme, veut nous révéler quelque chose d’important : c’est en pleine lumière et pas en catimini que Dieu va choisir ce jour-là de se manifester.
Une lumière qui, peut être, ressemble un peu à celle de la Transfiguration !
Autre étrangeté, pour ne pas dire objet de scandale : arrive une femme, une Samaritaine, plusieurs fois divorcée, plusieurs fois remariée, vivant en concubinage avec un homme avec lequel elle n’est même pas « pacsée » !
Toutes les conditions sont réunies pour que la rencontre n’ait pas lieu.
Un homme n’adresse pas la parole à une femme seule.
Un juif pieux ne parle pas avec une païenne.
Un croyant respectueux de la Loi, ne s’approche pas d’une divorcée remariée à la vie amoureuse aussi tumultueuse.
Mais, une fois encore, Jésus se fiche du « qu’en dira-t-on ! « La vraie morale se moque de la moral » dira Blaise Pascal…
Sans hésiter, il parle avec cette femme, elle-même fort surprise par cette liberté inattendue.
Jésus commence par lui exprimer son désir : « J’ai soif, donne-moi à boire ».
Tandis que la Samaritaine puise l’eau, le dialogue s’engage et le dévoilement s’esquisse.
Au bord du puits du prophète Jacob, c’est l’histoire de deux désirs qui, peu à peu, se racontent.
Désir de Jésus de rejoindre le cœur blessé de cette femme, désir du Christ d’aller à la rencontre de notre humanité fragile, désir fou de Dieu de faire alliance avec chacune et chacun d’entre nous. Désir d’aimer et d’être aimé...
En face de Jésus, la Samaritaine dévoile, elle aussi, son propre désir.
C’est une amoureuse, une passionnée, toujours en quête du « grand amour » !
À chaque nouvelle histoire sentimentale, elle y a cru : cette fois-ci, ce sera « pour toujours » !
Mais les hommes l’on déçu. Ces hommes dont on ne dit rien dans notre texte et qui demeurent, comme souvent, bien planqués. Car, bien entendu, ce n’est pas de leur faute, ce n’est jamais de leur faute !
Depuis la Genèse et son histoire de serpent et de fruit défendu, notre Samaritaine sait bien qu’Ève est désignée comme l’éternelle coupable !
Alors, elle se méfie. Et commence par envoyer balader ce juif étrange : « Toi qui es juif, tu me demandes à boire » ! La Samaritaine se sert des vieilles querelles de son peuple avec les juifs pour couper court à la conversation.
Elle joue le rôle qu’on attend d’elle, celui du méchant de l’histoire, et endosse le costume du Samaritain hérétique.
Mais Jésus ne s’intéresse pas aux vielles guerres de religion entre Juifs et Samaritains. Il n’est pas venu parler « religion », « rites » et « morale », mais vérité, sens profond de la vie et marche vers la Source intérieure.
Alors, il garde son calme, ou plus exactement, il le donne – ce calme – à la Samaritaine.
Oui, en lui demandant à boire, Jésus donne à la Samaritaine sa paix. Car cette femme éplorée est inquiète, bouleversée, sa vie amoureuse ressemble à un lent et inexorable naufrage.
Elle ne sait plus où elle en est ni même qui elle est !
En lui adressant la parole, en l’appelant par son nom, en la regardant, en l’écoutant, en lui dévoilant sa propre soif, le Christ la restaure dans sa dignité et l’apaise. La Samaritaine n’est plus l’anonyme « pécheresse » aux nombreux maris et amants.
Elle est une femme que le Christ regarde et relève. Il est probable que Jésus lui murmure des mots qui ressemblent à ce verset d’Isaïe : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime »…
À aucun moment il ne la juge ni ne lui fait la morale. Il l’aide simplement à relire sa vie avec lucidité, non pas pour l’enfermer dans les ornières boueuses de la culpabilité, mais pour lui faire découvrir que sa soif de bonheur peut, malgré sa vie chaotique, trouver à s’étancher. Jésus lui dévoile qu’il y a en elle, au plus secret de son cœur, une source mystérieuse qui peut étancher sa soif de vivre. Et lui ouvrir un sentier de résurrection.
Ce chemin, la Samaritaine l’a emprunté, en éclaireuse devant nous. Elle est pour nous une sentinelle de lumière, sœur de ces femmes qui, les premières, dans quelques jours, au matin de Pâques, courront jusqu’au tombeau pour constater, joyeuses, avant les hommes, qu’il est vide et que, oui, l’incroyable s’est manifesté : Celui qui était mort est désormais vivant !
Regardons-les, ces femmes de l’Évangile, écoutons-les. Laissons-les nous indiquer la voie vers la Source.
Elles ont l’oreille fine, ces femmes, elles entendent en elles le murmure du Christ leur dire : « J’ai soif » !
Oui, laissons la Samaritaine désensabler notre source intérieure.
Profitons de cette marche de Carême pour venir faire escale, avec elle, au bord du puits de Jacob, ce puits profond en nous, au plus secret de notre cœur, où coule cette eau vive dont nous avons besoin pour étancher notre soif de vivre et laver nos blessures.
Laissons le Christ irriguer notre propre désert spirituel de son eau vive, cette terre sèche et aride de notre « Samarie intérieure » envahie par nos désirs contradictoires, nos infidélités chroniques, nos médiocres petites guerres de religion, nos idolâtries et nos agenouillements devant tant de faux dieux.
Ouvrons l’oreille de notre cœur et entendons enfin le Christ nous dire :
« J’ai soif ».
Soif de te rencontrer, soif de te relever, soif de t’aimer tel que tu es, avec tes grandeurs et tes limites, soif de te réconcilier, soif de te pardonner, soif que tu aies soif de mon amour et de ma joie.
Que cette marche de Carême attise en chacune et chacun de nous la soif d’avoir soif de cette eau vive puisée aux premières lueurs du grand matin de Pâques…
(c) B.Révillion
Abbaye de Leffe. Une halte spirituelle pendant le carême
Joyeux Carême
La communauté des prémontrés de Leffe vous invite à une journée de réflexion le samedi 25 mars prochain.
Au programme:
9h30: accueil
Enseignement, partage, célébration, rencontre, temps personnel, …
17h vêpres
Animation : fr. Christophe et les frères de la communauté
P.A.F. 15 € (animation, repas, café)
Inscriptions avant le 19 mars : secretariat@abbaye-de-leffe.be
La Bienheureuse Eugénie Joubert à Dinant.
Savez-vous que la Bienheureuse Eugénie Joubert décédée le 2 juillet 1904 repose dans la chapelle de la Résidence Churchill à Dinant, anciennement Sainte Famille du Sacré-Coeur.
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Un site internet raconte sa vie.
Vous pourrez trouver à la Résidence Churchill un livret "neuvaine" ainsi que la prière à la Bienheureuse
Bienheureuse Eugénie Joubert - Site dédié à Bienheureuse Eugénie Joubert
La Bienheureuse Eugénie Joubert, de la Sainte Famille du Sacré-Cœur, est née à Yssingeaux (Haute-Loire) le 11 février 1876 ; elle est décédée à Liège (Belgique) le 2 juillet 1904 et repo...
Méditation de Carême. Bonne marche vers Pâques !
"Bienheureuse marche au désert qu'il nous faut oser malgré nos peurs et nos fragilités : nous sommes si souvent dans l'à-côté de nos vies, dans la nasse de nos impasses, dans le désert de nos
"dès-êtres …"
Comme elle est sèche, Seigneur, et fragile, l'argile de notre cœur sur laquelle Tu viens, sans relâche, blesser la paume de Tes douces Mains de potier !
Nous errons si souvent, l'âme en panne, tristes témoins d'une création en nous interrompue, sous le poids des rocs de nos piètres tombeaux.
Ardente lutte, au gré de nos vies incertaines, entre la pesanteur et la Grâce…
Nous sommes, Tu le sais bien, Seigneur, un peuple à la tête dure, petite horde de fuyards qui, sans cesse, hésite entre le feu brûlant de la liberté et les mirages anesthésiants de l'esclavage.
Nous sommes des hommes et des femmes du clair-obscur, de l'entre-deux, de « l'entre-Dieu », des intermittents de la foi, des « mécréants » récitant le credo de leurs doutes, des marcheurs pétrifiés.
Apeurés par l'exode auquel, sans relâche pourtant, Tu nous invites et qui nous mènera, de nuit, à l'intime, en cette chambre secrète où, Toi, l'Eternel patient, Tu nous attends et nous espères…
Bienheureuse marche au désert qu'il nous faut maintenant oser, malgré nos peurs et nos fragilités ; sans attendre…
Car Tu n'es pas le Dieu de l'en-haut, hautain et condamnant, mais le Dieu de l'en-bas qui, du bois mort de toutes nos faiblesses, fait secrètement germer l'arbre flamboyant de notre vie nouvelle…
Bienheureuse aridité du désert qui émonde, élague et unifie.
Bienheureuse soif de la Soif…
Bienheureux désir du Désir…
Le Carême n'est rien moins que la faim de la Faim…
Quarante jours, quarante nuits, pour qu'enfin, tel le voile du Temple, se déchirent nos robes de tristesse…
Quarante jours, quarante nuits, pour que tombent les oripeaux de nos angoisses, et qu'enfin nos âmes marchent et dansent vers la Joie imprenable...
Bertrand Révillion
Celles. Oratorio le 26 mars
Quelles spiritualités pour demain ?
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La spiritualité — religieuse ou, souvent, dans nos pays, non religieuse (agnostique ou athée) — est la caractéristique de l’humaine condition, ce qui nous distingue de l’animal et de la machine. Elle est cette dimension intérieure de la personne où celle-ci décide du sens qu’elle donne à sa vie ainsi que des engagements qu’elle prend. Nous ne sommes pas dans le domaine du savoir, mais de la foi, foi en soi, en l’homme, voire en Dieu. On pourrait emprunter au caricaturiste australien Leunig l’image de l’arbre dont les racines sont à la mesure des branches : la vie intérieure doit grandir à l’égal de la vie extérieure. Quant aux feuilles, elles ont à nourrir les racines, celles-ci alimentant les feuilles.
La spiritualité, à ne pas confondre avec le surnaturel, dirait Éric-Emmanuel Schmitt, n’est plus le monopole des religions, elle est « sortie de la religion », pour prendre l’expression parfois mal comprise de Marcel Gauchet. Quand elle est religieuse, elle débouche sur la découverte d’un plus grand que soi, innommable : l’Infini de l’Amour, de la Vérité et de la Beauté. Les religions et les philosophies, l’homme de la rue aussi, donnent le nom de Dieu à cette transcendance « ultime », et « personnelle » dans certaines religions.
Les médias parlent souvent du retour de la spiritualité. Des stages sont organisés, des formations mises en place. Les publications abondent. En Belgique, tout récemment, on a introduit la méditation dans les écoles du réseau catholique. La spiritualité est quasiment devenue synonyme de « développement personnel ». Elle est convoquée au service de l’oxygénation de la vie privée.
Le mot spiritualité fut d’abord religieux, et même chrétien. Maintenant, le mot s’est élargi, englobant les spiritualités non religieuses que l’on pourrait qualifier d’humanistes. De plus, la spiritualité contemporaine est fortement marquée par le contact avec les spiritualités orientales. La dimension thérapeutique – les thérapies psychocorporelles – est aussi très présente.
Croyants et incroyants sont donc voués à cultiver cette dimension. La religion se situerait à l’horizontale, créant des liens, et la spiritualité à la verticale — soit intime, soit transcendante —, correspondant au besoin de sens. Si toutes les spiritualités ont en commun l’ouverture à soi et à autrui, l’ouverture au « plus intime que soi », les questions ultimes du sens, face à l’origine, au mal (que je subis et que je commets), à la mort, à la transcendance, font la différence entre elles.
Du côté des croyants religieux, on semble avoir compris aujourd’hui que, pour sauver la religion, il fallait la « spiritualiser », insister sur la dimension d’intériorité personnelle plutôt que sur les rites et autres pratiques. Il ne faudrait cependant pas que le spirituel devienne un refuge face à un monde jugé négativement. Ce ne serait plus un opium du peuple, mais bien des bourgeois en mal de sens.
Dans le roman Soufi, mon amour d’Elif Shafak, Aziz écrit à Ella que la spiritualité « n'est pas une chose qu'on peut ajouter à sa vie sans procéder à des changements majeurs ». Or, précisément, elle est de moins en moins mise en lien avec la transformation de l’existence et du monde. Au contraire, elle est reprise dans la dynamique consumériste de notre culture. N’assisterait-on pas aujourd’hui à une marchandisation du spirituel ?
Pour mettre de l'ordre dans le monde, nous devons d'abord mettre la nation en ordre. Pour mettre la nation en ordre, nous devons mettre la famille en ordre. Pour mettre la famille en ordre, nous devons cultiver notre vie personnelle. Et pour cultiver notre vie personnelle, nous devons clarifier nos cœurs.
Abdennour Bidar
Gabriel Ringlet. Grand entretien.
Gabriel Ringlet : 'Nous voyons encore trop souvent l'asile comme un problème'
Prêtre, aumônier, journaliste, professeur, théologien, écrivain... Gabriel Ringlet a déjà emprunté de multiples chemins. Il en est sorti, aussi, pour aller au-delà des balises. Depuis plus ...
Véronique Margron. Donner la vie dans un monde en péril.
« Je ne me suis pas engagé comme prêtre pour une institution, mais pour des personnes »
« Le Christ nous invite à toujours regarder vers l’avenir, à libérer les autres et à nous libérer nous-mêmes de notre passé, car Dieu est miséricordieux. » RUSKPP/ADOBE
Trop, c’est trop ! On aurait pu croire que le rapport Sauvé avait fait prendre conscience aux évêques français du drame et du scandale de la pédophilie et pointé les réformes à opérer. Et voilà qu’il est révélé que l’ancien évêque de Créteil, qui avait quitté ses fonctions prétendument pour raison de santé, était en fait sous le coup d’une sanction romaine pour « abus spirituels à des fins sexuelles » et que le cardinal Ricard reconnaît des faits gravement délictueux, certes il y a trente-cinq ans. Que beaucoup s’éloignent de l’Église, comment s’en étonner ?
L’Évangile m’apprend cependant qu’il faut oser croire au pardon. Celui de Dieu, bien sûr, mais aussi le nôtre, puisque régulièrement nous disons : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Le Christ nous invite à toujours regarder vers l’avenir, à libérer les autres et à nous libérer nous-mêmes de notre passé, car Dieu est miséricordieux. Mais il ne faudrait pas que ce soit une manière de fermer les yeux ou de défendre l’institution. Les personnes ont droit à notre miséricorde – et c’est souvent un combat que d’y parvenir – cependant les institutions méritent parfois des révolutions.
Systémique
Le rapport Sauvé avait parlé d’une crise systémique. En voilà, hélas, une illustration de plus. Faut-il quitter le navire ? Heureusement, il reste la figure du pape François. Son idéal est fort : guérir l’Église de sa maladie du pouvoir, mettre les religions en dialogue, accueillir les plus blessés de notre humanité, et particulièrement les migrants, et j’en passe.
Mais il y a surtout, bien sûr, la figure de Jésus lui-même. Je ne peux oublier que c’est par l’Église, aussi pécheresse qu’elle soit, que son message m’est parvenu et que sa personne est restée vivante pour moi. « Il y a toujours une source cachée sous le seuil du temple », écrivait Éloi Leclerc, et de préciser « quand bien même (cette Église) s’affuble des oripeaux de ce monde » (2).
Par amour de l’humanité
L’Église est une communauté d’humbles tâcherons qui se comptent par centaines de mille – parmi eux, des prêtres et des évêques aussi ! Il ne faudrait pas laisser planer la suspicion sur tous. Ce peuple en marche est tributaire de son temps, mais il a reçu un souffle, celui de l’Évangile, qui lui permet de traverser dans la foi, l’espérance et l’amour, les siècles qui, avec lui, mais aussi, pour une part, grâce à lui, s’avancent, avec des pas en avant et des pas en arrière, vers plus d’humanité.
Je ne me suis pas engagé pour une institution, mais pour des personnes. Ces personnes, c’est l’humanité elle-même – « Dieu a tant aimé le monde », dit Jésus dans l’Évangile de saint Jean (3,16) –, et l’Église en fait partie. Celle-ci est, au cœur de ce monde, un certain rêve d’humanité, un idéal jamais atteint, que le Christ est venu raviver. Et, comme toute réalité humaine, si elle veut durer, il faut qu’elle s’organise. Il ne s’agit pas de supprimer toute institution, mais de mettre celle-ci en phase avec nos sociétés, tout en gardant une distance critique par rapport à une « modernité qui déraille sur de nombreux sujets », selon le philosophe Jean-Louis Schlegel.
L’institution sera toujours « un mal nécessaire », continuellement en retard sur le Royaume de Dieu, comme l’écrit Heinz Zahrnt, un théologien protestant. Sans elle, pourtant, Jésus et sa Bonne Nouvelle seraient tombés dans l’oubli. Notre humanité ne peut faire fi de cette proposition de fraternité, de bonté, de générosité et de pardon. L’Évangile est comme une graine qui doit germer et porter du fruit. Il n’y a que deux mille ans qu’elle a été semée !
Je ne quitterai pas le navire, même quand il coule, ce qui ne m’empêche pas de reconnaître qu’il coule, et qu’il faut une réforme profonde et totale. La petite barque des pêcheurs de Galilée est devenue un immense paquebot bien difficile à faire virer de bord. Mais ce même Jésus a eu l’audace de dire que « les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle » (Matthieu 16,18). C’est donc avec espérance qu’en restant sur le pont, je me bats pour qu’il y ait un avenir, sans même savoir comment il sera.
La Croix du 25 novembre 2022
Gabriel Ringlet. L'Eglise catholique est-elle en danger?
Religions : l'Église catholique est-elle en danger ?
L'Église catholique connaît une crise des vocations en Europe. En octobre dernier, le pape François a invité les catholiques à penser l'Église de demain à l'occasion d'une réflexion mondial...
https://information.tv5monde.com/video/religions-l-eglise-catholique-est-elle-en-danger
Quand passe le souffle. Belle réflexion de Myriam Tonus
Inutile de tourner autour du pot : dans mon entourage familial, immédiat et plus éloigné, ils et elles ne sont plus très nombreux à se déclarer croyants. Les jeunes (dont la plupart ont suivi près de 12 ans de cours de religion) ne manifestent aucun intérêt pour les choses de la foi ; leurs parents ont déserté jusqu’aux parvis ; quant aux amis de ma génération, ils se partagent entre ceux qui se sont, eux aussi, éloignés de l’Église et ceux qui se demandent ce qu’ils ont fait (ou pas) pour que la transmission soit à ce point en panne. Quant à moi, je vis sereinement le fait d’être la grand-mère qui fait de la théologie comme d’autres font de l’aquarelle ou de la marche nordique. Sans vraiment m’inquiéter de ce que les jeunes du Patro ou mes propres petits-enfants (adultes) ignorent qui est le pape François ou ce que représente l’assomption de Marie.
C’est que vivre avec les jeunes, c’est passionnant. Et c’est un objet d’émerveillement quasi quotidien. Dans Petite Poucette, Michel Serres rendait un hommage jubilatoire et sincère à cette génération de filles et de garçons nés au moment où le monde a quitté la modernité pour entrer dans une mutation dont nous n’avons peut-être même pas encore vraiment conscience, nous qui venons de l’ancien monde. Certes, ils nous bousculent, ces « millenials » (nés dans les années 2000), ils nous délogent et nous n’avons qu’une alternative : ou bien sombrer dans une déploration, aussi vaine qu’injuste, à propos du niveau qui ne cesse de baisser, de l’addiction aux écrans et autres modernes turpitudes, ou bien reconnaître que l’avenir, ce sont ces jeunes qui le porteront. Et si l’on choisit le second terme de l’alternative, il nous faut accompagner leur angoisse de cet avenir singulièrement menacé… et reconnaître en nos descendants une lucidité et une maturité qui dépassent, me semble-t-il, celles que nous avions à leur âge. Oui, ils réinventent tout : les relations amoureuses, l’école, le travail et cela nous ébouriffe. Mais ce sont de belles personnes et ils font preuve d’autant de générosité et d’idéal – une forme désenchantement en plus. Cela peut se comprendre, vu l’héritage qu’ils devront assumer. Et oui, la spiritualité, ils connaissent – si l’on rend à ce mot son sens premier : un souffle que l’on reçoit, qui gonfle les voiles et donne d’avancer. Les religions n’en ont pas le monopole.
C’est dire si quelques lignes lues dans mon journal préféré m’ont littéralement giflée. Un séminariste déclare : « Quand je parle à des amis non croyants, je remarque qu’il manque un sens à leur vie. Et notre rôle, c’est justement de les ramener à Jésus, pour leur bien. » Ainsi donc, seuls les croyants (catholiques ?) pourraient faire du sens dans leur vie et le rôle du prêtre serait de ramener au bercail les brebis égarées. Pour leur bien… Tant d’inconscience et de sentiment de supériorité laisse sans voix. Qui donc es-tu, frère séminariste, pour juger, du haut d’un statut que tu n’as même pas encore, la qualité d’une vie humaine qui ne partage pas tes convictions ? Te rends-tu compte que ce sont précisément des propos et des positions de cette sorte qui ôtent toute envie d’en savoir plus sur ce qu’est la foi ? Te souviens-tu que Jésus, lorsqu’il se faisait proche des gens, se contentait (si je puis dire) d’éveiller l’étincelle de vie qu’ils portaient en eux et qu’il ne leur demandait pas de se convertir au judaïsme ? Et ceci encore : lorsque j’étais prof de religion, il y a 30 ans, figurait déjà dans le manuel dûment approuvé un petit texte jouissif qui rappelait qu’être croyant ce n’est pas avoir « quelque chose en plus »… comme on a une verrue sur le nez !
Alors, si l’avenir risque bien de n’être drôle pour personne, et en particulier pour les jeunes, je souhaite sincèrement bon courage à ce séminariste. Mais je continuerai à me réjouir tout aussi sincèrement de constater que décidément, le souffle (l’esprit) souffle où il veut et que l’on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Simplement, je perçois en continu sa trace vivifiante à l’œuvre chez tant de mes contemporains, y compris chez celles et ceux, jeunes ou non, qui n’ont pas besoin d’étiquette pour se mettre au travail.
Myriam TONUS